Aider... Oui mais comment?
"Le problème est bien connu des pédagogues : ce n'est pas en faisant « plus et plus près de l'élève de la même chose »… que l'on peut réussir.
Il faut faire autrement, reprendre le processus de construction des savoirs et des compétences en plaçant l'enfant dans des situations permettant une analyse fine des démarches, des stratégies, bien en amont de l'exercice d'application réitéré et réexpliqué. C'est au moins aussi difficile que la pédagogie différenciée."
La difficulté trouve en outre, parfois, son origine dans la confusion ou les obstacles didactiques que, les uns ou les autres, nous mettons involontairement sur le chemin de la construction du savoir (voir exemple ci-dessous).
Aider, c'est faire un travail d'investigation nécessitant une observation "clinique", c'est chercher à identifier l'origine possible et jamais certaine de la difficulté, c'est élaborer des hypothèses de travail - rarement une seule - c'est faire le choix de supports de médiations cohérents et surtout, le plus difficile, c'est développer une médiation associant l'élève à sa construction (métacognition).
L'obstacle se situe parfois en amont de la construction du savoir, dans des zones intra-psychiques inquiétantes pour un pédagogue ou un didacticien: il devient alors inutile voire contre-productif d'appuyer sur le sympôme, d'insister encore et toujours sur ce que laisse entrevoir l'élève en difficulté, sur une résistance mise en place pour éviter à tout prix la confrontation à l'insupportable. Je pense notamment à ces quelques élèves qui, malgré tous les dispositifs se succédant de réforme en réforme, ne peuvent construire la numération ou accéder à l'écrit, alors même que des élèves peu outillés du point de vue cognitif (QI <70) y parviennent.
Il faudrait alors être tout à la fois: didacticien, pédagogue, psychologue, psycho-pédagogue, rééducateur ... autant de regards complémentaires indispensables pour une aide éclairée... avec, comme préalable, une formation de qualité, et un projet partagé par tous les acteurs de l'institution!
Cette complémentarité était, me semble-t-il, recherchée à travers la mise en place des RASED, dans un système cohérent basé sur la reconnaissance de compétences complémentaires.
Rares sont les personnes d'exception en mesure de cumuler ces regards. Nous sommes actuellement dans une confusion simplificatrice, rassurante sans doute pour certains, sources d'économies pour d'autres, mais vraisemblablement - j'espère me tromper - préjudiciable pour les élèves en difficulté.
Un système s'enrichit de compétences mises en synergie. Aucun système ne peut se renforcer dans la confusion des rôles.
Aider = repérer l'origine de l'erreur
Une histoire vraie : un exemple d'obstacle didactique conduisant à un malentendu
Constat: Hélène a 7 ans: elle ne met pas en place la numération et mobilise déjà beaucoup de bonnes volontés: activités adaptées en classe (plus faciles, moins longues,...) , aide personnalisée, soutien et maintenant aide spécialisée.
Investigations
Observations complémentaires: Quand on lui demande de montrer "6" avec les doigts, elle montre ses deux pouces;
Quand on lui demande de montrer "8" avec les doigts, elle montre trois doigts d'une main + le pouce de l'autre main. Dans ses cahiers, on retrouvera pour le même nombre, les écritures 13, 8, 7, 9 ....
Dans quel cadre a-t-elle appris?
Son enseignant, dans un souci louable de clarté, a proposé de nombreuses manipulations , passant de représentations réalistes puis schématiques aux écritures symboliques, mathématiques. Elle s'est appuyée sur le matériel Picbille et a, en particulier, utilisé les boîtes Picbille.
Interprétation - hypothèse
Hélène s'est constuit une représention du nombre "8" non dénuée de logique: une boîte fermée et 3 billes , soient un pouce d'une main et trois doigts de l'autre. On imagine les erreurs induites dans le fichier d'exercice!
Analyse:
L'identification de l'obstacle aura nécessité une observation fine - dans l'action - que seul le petit groupe permet. Ces élèves mettent en effet souvent en oeuvre des procédures instables, difficiles à isoler et à identifier, d'autant plus difficiles dans le cadre collectif de la classe (Difficile au-delà de 4 élèves! à moins d'avoir développé un sentiment de toute puissance!)
Remédiation
La déconstruction de cette "représentation" faisant obstacle aux apprentissages aura été, ensuite, assez facile. Elle est passée, dans un cadre voulu interactif - socio-constructif diront certains - par l'identification, la prise de conscience et la compréhension de l'erreur, la reconstruction puis l'entraînement. Ce n'est malheureusement pas toujours aussi transparent - ce n'est d'ailleurs pas le seul obstacle constaté dans le cas d'hélène - l'investigation est souvent beaucoup plus "exigeante". Aider, ... c'est tenter d'entrer dans la "boîte noire" de l'élève pour chercher à comprendre comment il s'accapare de ce qui lui est proposé. Quelle que soit la démarche du maître, malgré toutes les précautions prises, malgré un souci didactique évident dans ce cas précis, c'est l'élève qui, au final, construit son savoir : personne ne peut alors maîtriser les processus mis en oeuvre. Aider, c'est quitter des certitudes "didactiques" rassurantes pour aller sur le champ de l'élève.... C'est, je crois, en partie dans cette double compétence - la connaissance didactique et la capacité à se soucier des processus de construction mis en place par l'élève singulier, celui qui est en face de nous - que se situe notre professionnalité: si tout le monde peut transmettre un discours, enseigner, ... c'est un métier!
Un autre exemple d'investigation appliquée à la lecture: ici